Maxime est de retour avec sa liste des 10 meilleurs albums de 2015 ! Si vous avez lu son article sur les 10 meilleurs épisodes des Griffin ainsi que celui sur les 10 meilleurs épisodes de South Park, vous aurez deviné à présent qu’il aime les classements ;)
1. Kendrick Lamar – To Pimp a Butterfly
Attention chef-d’oeuvre. Trois ans après la sortie de son good kid, lequel avait déjà enflammé la critique, Kendrick Lamar revient avec ce qui s’annonce comme un des albums incontournables de cette décennie. Sorti en janvier, ce What’s Going On du Hip Hop, à la sauce Jazz, écrase la concurrence du reste de l’année 2015. Depuis quelques années que j’observe le monde de la critique musicale, j’ai rarement vu un tel ouragan d’éloges : l’album de Kendrick est jubilatoire, sans compromis, brut, souvent brutal.
Dans l’Amérique de Butterfly, la terre s’ouvre comme les milliers de mains noires, opprimées par la ploutocratie blanche, pour avaler cette dernière dans une grandiose apocalypse musicale (‘Mortal Man’). Je ne vous cacherai pas que ce disque m’a demandé plusieurs écoutes, cependant dès la première, j’ai compris qu’il était important. L’oeuvre est loin d’être Pop, et pourtant sa présence aux Grammies ne m’a même pas étonné. C’est un peu comme si sa qualité sauvage la transcendait pour être visible aux yeux de tous, comme un soleil ardent, une claque si forte que sa douleur nous enivrerait.
2. Sufjan Stevens – Carrie & Lowell
Comme le no. 1 de cette liste des meilleurs albums de 2015, Carrie & Lowell fait consensus, même si, contrairement au premier, son importance historique reste à être confirmée. Sur le thème de la mort de sa mère Carrie, avec laquelle il avait une relation apparemment assez compliquée, Sufjan tisse un album majestueusement discret. Entrelaçant de doux arpèges de guitare sur des nappes glaciaires de synthétiseurs, l’artiste plante le décor d’un amour aigre-doux, presque non-avenu.
Se rappelant d’une mère fantomatique, quasiment absente de sa vie, le poète perçoit son image à travers un linceul noir (‘my black shroud’), présence à la fois mélancolique, effrayante, et bizarrement réconfortante (‘Should Have Known Better’). Lorsque le souvenir de sa mère devient trop lointain, Sufjan incarne son compagnon, Lowell, acteur et vainqueur d’un amour dont le chanteur a été dépossédé (‘Fourth of July’). Les textes deviennent franchement freudiens quand l’artiste imagine leur douce intimité, comme s’il évoquait une cérémonie de laquelle il aurait été exclu, habitée par un père imposteur, et une mère sans amour.
3. Tame Impala – Currents
Trois ans après un petit bijou rock indé appelé Lonerism, Tame Impala et son leader Kevin Parker reviennent avec l’un des albums les plus attendus de l’année. Sacrifiant les guitares brutes et compressées de son prédécesseur, Currents est inondé de sons synthétiques, travaillés et retravaillés à la limite de l’artificiel. Le choix est à la fois assuré et prudent. Avec l’arrogance d’un groupe qui semble vouloir marcher sur les traces de titans comme les Beatles et Pink Floyd, Tame Impala se mue en usine à singles, parfois au risque de se transformer en étrange caricature d’eux-mêmes.
Le Kevin Parker de Currents n’est plus le solitaire hanté par ses rêves apocalyptiques, mais plutôt un trentenaire abasourdi par le temps, qui l’enveloppe et le fait évoluer, comme autant de courants (fluviaux, électriques, musicaux). Bref, l’un des albums les plus faciles et les plus réjouissants à écouter dans le paysage musical actuel. C’est comme redécouvrir l’album blanc ou Wish You Were Here : absolument charmant, mais parfois, on aurait préféré être plus secoué.
4. Julia Holter – Have You in My Wilderness
Comme les trois premiers artistes de cette liste des meilleurs albums de 2015, Julia Holter a déjà fait ses preuves, et à l’image de Kendrick Lamar et Tame Impala, elle capitalise, avec ce nouvel opus, sur le succès de son album précédent. S’envolant de la chaleur étouffante du Paris nocturne de Loud City Song, la voilà catapultée sur un rocher, au milieu d’une mer cruelle.
Le sentiment diffus et agréable d’errance du précédent, s’est transformé en confusion froide, bien réelle. Les vagues grises et la lumière aveuglante tiennent lieu de métaphore pour une vie amoureuse chaotique, triste, et féroce. ‘Je ne sais pas nager. C’est clair comme de l’eau de roche !’ crie-t-elle (‘I can’t swim. It’s lucidity, so clear!’ in ‘Sea Calls Me Home’). Comme Lucette sur son île déserte, elle espère le retour de son amant, les bras tendus vers les oiseaux moqueurs (‘Lucette Stranded on the Island’), peut-être les mêmes que ceux qui gazouillaient cyniquement aux fenêtres de Maxim’s sur Loud City. Et la musique dans tout ça ? Lumineuse, presque royale. Comme si le Brian Wilson de l’âge d’or s’était réincarné en femme.
5. Grimes – Art Angels
Ne le jugez pas par sa couverture hideuse (fameusement décriée par Topito), ce disque s’écoute sans faim. Je ne suis pas un grand fan de Grimes, mais j’avoue avoir été surpris par la cohésion de cet album. Les morceaux sont joyeusement propulsés par des riffs de guitare Surf Rock californiens, qui nous entraînent comme un rouleau géant à travers l’océan Pacifique, pour nous faire échouer sur les plages d’un Japon fantasmé. Les paroles rappellent souvent les shojo, des mangas centrés sur l’intimité et la romance adolescentes (ma science s’arrête là).
La pop de Claire Boucher (le vrai nom de Grimes), peut paraître exubérante à première écoute, mais elle est, en réalité, fortement imprégnée d’une mélancolie contenue, qui semble directement puisée de cette littérature ; considérez la violence refoulée de ‘Flesh without Blood’ par exemple. En bref, Art Angels est un disque suprêmement intéressant.
6. Miguel – Wildheart
Avant de vous parler de Miguel, je vais parler d’artistes de couleur. Sur cette liste des meilleurs albums de 2015, il n’y a en effet que deux artistes noirs, Kendrick Lamar et Miguel (métissé latino). Tandis que l’inclusion de Pimp a Butterfly ne faisait aucun doute, les autres prétendants dans les catégories R&B et Hip Hop qui sont, mettons-nous d’accord, plutôt dominés par des artistes de couleur, étaient plus difficiles à inclure. Il y a notamment deux albums que j’ai beaucoup aimés et qui ont failli figurer : If You’re Reading This, It’s Too Late de Drake et Summertime ’06 de Vince Staples. Seulement, contrairement à Wildheart, je trouve que ces deux disques souffrent d’un manque de raffinement assez problématique : Dans le cas de Drake, c’est presque normal puisque son disque est une mixtape et non un album, donc plutôt la préparation d’un album. Pour Vince Staples, je pense que l’album est tout simplement trop ambitieux en terme de longueur, surtout pour un début.
Donc, comme je le disais, Wildheart de Miguel, même s’il n’a peut-être pas le coeur et l’esprit désinvolte des deux autres, brille par l’intensité de son travail de production. Explorant un univers musical à la traversé du Funk et du Rock Psychédélique, Miguel semble vouloir esquisser une suite au chef-d’oeuvre de Frank Ocean, j’ai nommé Channel Orange. Même s’il n’y atteint pas les sommets de lyrisme de ce dernier, la maîtrise de son art productif, et la liberté de sa poésie érotique forcent le respect. Un artiste assez sous-estimé il me semble.
7. Natalie Prass – Natalie Prass
Un de mes petits préférés, et celui d’entre les dix que j’ai sans doute le plus écouté. Un album que la presse a eu par ailleurs tendance a ignorer, sûrement à cause de son approche très traditionaliste. Natalie Prass et son producteur Matthew E. White nous offrent tout juste 40 minutes de Pop saccharine, enrobée par des arrangements de cordes absolument délicieux. Production qui, pour Stephen Thomas Erlewine, de AllMusic, rappelle des artistes folk/country des années soixante, comme Dusty Springfield (Dusty in Memphis) et Harry Nilsson (‘Everybody’s Talkin’’).
Le premier album de Natalie Prass n’est ni novateur, et encore moins révolutionnaire, mais il est difficile de s’en lasser, j’irai même jusqu’à dire : de s’en passer. C’est comme un bon thé au lait quand il fait -5 dehors, un timide mais efficace rayon de soleil. L’impressionnante maîtrise de l’artiste est évidente dans des chansons comme ‘Bird of Prey’, ‘My Baby Don’t Understand Me’, ou encore ‘Violently’. Les structures et les émotions exprimées sont toujours travaillées avec grand soin, et même si le disque peu sembler manquer de moments forts en seconde partie, on le réécoute presque instinctivement.
8. Florence + The Machine – How Big, How Blue, How Beautiful
Après quatre ans d’absence, Florence and the Machine reviennent avec un album produit par Markus Dravs, producteur d’Arcade Fire (Suburbs) et Coldplay (Viva la Vida). Tout à fait dans les cordes de son art, Dravs nous offre une épopée Rock de 48 minutes, le genre d’album qui nous prend d’assaut avec une armée de guitares et de cuivres jusqu’à ce qu’on se rende. Le nombre de singles potentiel force l’admiration, et me permet d’être plus indulgent sur une seconde moitié moins convaincante. Des chansons comme ‘Ship to Wreck’, ‘What Kind of Man’, et ‘Queen of Peace’ en plus d’être accrocheuses au plus au point, sont des morceaux de bravoure vocaux. Les paroles évoquent un chaos et un déchirement qui ne laissent pas indifférent, et ne serait-ce que pour ces trois-là, je vous conseille d’écouter cet excellent album.
9. Father John Misty – I Love You, Honeybear
Un album très acclamé par la critique du monde anglo-américain, I Love You, Honeybear peut sembler assez bas sur cette liste des meilleurs albums de 2015. C’est en effet un disque aussi bien suprêmement plaisant au niveau musical que complexe et sombrement humoristique au niveau des paroles. Josh Tillman (Father John Misty) dresse une fresque à la fois attachante et grotesque de sa vie changée par le mariage, et ne tombe jamais dans le cul-cul ou l’émotion facile. Dans ‘Chateau Lobby # 4’, il fantasme de faire l’amour à sa femme dans sa robe de mariée ‘dans laquelle quelqu’un a sûrement été assassinée’ – ça vous donne le ton : brutalement romantique, enivré, et grotesque, sinon gothique.
Personnellement, je n’ai rien contre les paroles, c’est plutôt la musique qui me dérange. J’admets que la plupart des morceaux restent en tête et son très bien produits, comme ‘When You’re Smiling’ ou ‘Strange Encounter’. Father John sonne un peu (beaucoup) comme Gram Parson produit par Phil Spector. Et c’est ça le problème. Dans les années soixante-dix, le disque serait sûrement devenu un incontournable ; en 2015, je le trouve un peu faible en terme d’innovations. Les rires enregistrés de ‘Bored in the USA’ ont beaucoup fait gloser la critique, mais franchement : les Beatles faisaient ça en 1967 ! Comme Fleet Foxes, qui puisent énormément dans les Byrds et les Beach Boys pour leur son, Father John me fait me demander : est-ce qu’un artiste doit être forcément innovant pour être bon ?
10. Oneohtrix Point Never – Garden of Delete
Je voulais inclure In Color de Jamie xx, mais je le trouvais trop prudent par rapport à celui-ci. Le concept de Garden of Delete est assez simple à saisir dès la première écoute : faire un album avec des bouts de compositions inutilisés. Ce n’est qu’une posture évidemment, puisque OPN travaille certains passages, afin de ne pas perdre son momentum (et notre attention), cependant, le résultat n’en est pas moins déstabilisant et fascinant. Son esthétique rappelle souvent Downward Spiral de Nine Inch Nails, mais avec un aspect beaucoup plus chaotique et fuyant. Pour Dusted Magazine, ONP est comme un enfant avec ‘un déficit d’attention, qui refuse furieusement de vous regarder’. J’ai envie de demander : est-ce que ce n’est pas le but ?
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